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Fiche pièce
Catharsis



L'AUTEUR
Akakpo Gustave



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Catharsis
Akakpo Gustave

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Sigrid Carré-Lecoindre, étudiante Univ. Paris 3, SeFeA


  Togo
2005
Éditions Lansman
 
Genre
Drame

Nombre de personnages
1 femme
5 hommes


Longueur
4 tableaux


Temps et lieux
Un cimetière africain au beau milieu de la nuit

Thèmes


Mots-clés
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

Dans cet entre-deux envahi par la nuit, cet espace de l'entre-deux qu'est le cimetière, en plein cœur de ce site macabre où le temps semble s'être arrêté, le gardien de l'oracle supplie Ellè de danser le rituel expiatoire, seul espoir selon lui, de rendre la vie au royaume moribond et à sa reine mère à l'agonie. Passant de la plainte au cri et à l'abandon de soi, Ellè finit par exécuter, consciente qu'une ultime chance lui est offerte de racheter un passé de cendres.
Sur le rythme effréné d'une cérémonie vaudou, ses trois fils (Iléfou resté à ses côtés, Ilénoir vendu à des marchands d'esclaves et Iléki en fuite), trois écorchés vifs, viennent lui rendre visite successivement et l'assaillent de leurs reproches en clamant leurs souffrances et meurtrissures. Entre amour et haine, entre retrouvailles, partages tendres et assassinat verbal, entre espérance et impossibilité de communication, la langue acérée de Gustave Akakpo nous invite à une catharsis étrange et douloureuse. Nous assistons au passage de la décrépitude à la régénérescence de tout un peuple au travers d'Ellè, femme mutilée qui tente de se réapproprier un présent et un avenir.

 
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Parcours dramaturgiques

Un titre évocateur
Catharsis, n. f. (du grec Katharsis, purification). Selon Aristote, la catharsis est une purification produite chez les spectateurs d'une représentation dramatique : il s'agit de libérer les spectateurs de leurs passions en les exprimant symboliquement. En psychanalyse, la catharsis est une décharge émotionnelle libératrice, liée à l'extériorisation du souvenir traumatisant et refoulé (Dossier de presse, semaine théâtrale francophone d'Afrique, 5-7 novembre 2007, Centre culturel français de Bamako, Mali).
La catharsis dans la pièce s'applique à la Reine Mère qui se remémore ses "fœtus avortés" et accouche, "chie sur le temps" (p. 14). C'est aussi le cameraman/photographe/réalisateur qui préconise de "péter plus haut que le pet de tout le monde" (p. 18). C'est Iléki qui s'extirpe de cette terre agonisante ou encore Ilèfou que l'on a "éjaculé sur ce puant coin de terre" (p. 20). Ce sont aussi "ces gueules de hyènes puantes gerbant flots de paroles incongrues" (p. 13). Par l'utilisation d'un champ lexical de la délivrance physique, la pièce de Gustave Akakpo met en place une véritable poétique de l'expulsion visant à traduire de manière métaphorique et subtile l'idée de catharsis.
Or, si catharsis il y a, elle n'est pas unique mais multiple. Outre la purge symbolique et classique du spectateur que sous entend le terme, Ellè a pour obligation de danser le rituel vaudou pour renaître tout d'abord à sa vie de femme et de mère et pour reconquérir, par la transe physique et la souffrance morale qu'impose la cérémonie, sa dignité perdue et son statut de Reine. Au travers de ce personnage, c'est aussi un peuple, un continent qui doit reconquérir son avenir afin de balayer un passé douloureux. La catharsis s'applique donc à Ellè et à ses enfants, à ses sujets, en un mot à l'Afrique.
Au-delà de la purification que subissent les personnages du drame, la catharsis semble aussi concerner Akakpo lui-même si l'on décide de voir dans Iléki, Iléfou et Ilénoir trois facettes d'un seul et même individu : l'auteur lui-même. Catharsis est-elle une pièce autobiographique ? Ce qui est sûr, c'est que cette pièce "est née de [son] envie de [se] mettre au monde, de mettre un "point à la ligne" à la vie qu'[il a] toujours vécue par délégation". L'auteur ajoute : "Je ne crois pas que ce soit juste de dire que je suis venu au monde le jour de ma naissance. Je ne suis pas venu au monde, c'est le monde qui est venu à moi. […] Sans rien me demander, mes parents m'ont porté au monde, sur un coin de terre qui s'appelle le Togo, dans une couleur de peau marron que le monde appelle noir, au sein d'une culture alien, héritage traditionnel métissé à la sauce d'un passé colonial et d'un présent mondialisé, sur un continent dont la misère fait étrangement mentir le riche potentiel humain, culturel, agricole et minier ; et depuis, je suis soumis à la dictature de vivre. Catharsis est donc l'année zéro de ma respiration." (Extrait du dossier de production de la Comédie de Saint Etienne)


Au sujet du rituel au théâtre
Catharsis est un drame qui met en scène une cérémonie vaudou, expérience initiatique qui sert de cadre à l'avancée de l'action et délimite le temps de la représentation. Peut-on parler de métathéâtre ? Peut-être serait-il plus judicieux d'employer le terme de "rituel dans le rituel". Qu'est la représentation théâtrale sinon une forme née du rituel ? Les parallèles sont nombreux entre le déroulement d'une pièce et celui d'une cérémonie. Cependant, les choses sont légèrement plus complexes dans Catharsis. Le fait que la cérémonie vaudou ait lieu devant un public participatif qui n'est autre que celui de la représentation tend à effacer la frontière entre la scène et la salle. Il n'y a plus de théâtre, plus de cérémonie mais une forme hybride qui prend forme au fur et à mesure du déroulement de la pièce.

Une dramaturgie de la puanteur
Dans le cimetière, ce n'est pas Ellè qui règne mais le bruit lointain des affrontements et surtout l'odeur insoutenable qui s'échappe des corps en putréfaction qui entourent la Reine-Mère, une véritable puanteur qui, en plus d'être sans cesse évoquée par les personnages, est soulignée par des allusions multiples aux matières fécales, aux excréments humains. Une infection atroce semble même avoir gagné Ellè : "Depuis ce jour qui ne se nomme pas, ça pue […] Elle ne reconnaît rien la Reine-Mère. Tout ce qu'elle devrait reconnaître a marché plus loin qu'elle. Fermer la marche. Elle. A la traîne. A la crasse du cul de l'Histoire. Sa merde dessus. Elle pue, elle." (p. 13).
La présence de cette odeur pestilentielle est justifiée par le fait que l'action se passe dans un cimetière, par la décomposition des cadavres mais aussi par la guerre, la puissance de l'oppression, cette force qui envahit l'air, le vide de son oxygène et provoque l'asphyxie, comme le rappelle le gardien de l'Oracle : "Entrez, oui, venez, installez-vous. Merci à vous tous qui êtes venus ce soir, vous qui croyez en ce que nous faisons […] Désolé pour l'odeur, c'est un cimetière, il y a des cadavres forcément… De toute façon, depuis que cette connerie de guerre a posé ses armes sur notre royaume, ça pue de tout côté." (p. 5)
La puanteur écrasante plaque les personnages au sol, les paralyse, s'immisce pernicieusement en eux jusqu'à les vider de toute substance de vie. La puanteur comme métaphore du démantèlement de l'être, du pourrissement de la situation bloquée dans laquelle se trouvent Ellè et, au travers d'elle, l'Afrique. Dans une orchestration quasi musicale de l'environnement olfactif, la puanteur va crescendo jusqu'à ce que la catharsis, grâce au rituel, rende à l'air sa légèreté et libère les corps possédés.


Du carrefour au cimetière
Le Carrefour de Kossi Efoui et Catharsis de Gustave Akakpo sont deux pièces écrites à seize ans d'intervalle par deux dramaturges originaires du Togo. Les deux fables sont certes différentes mais en filigrane, elles mettent en scène la même histoire morcelée et placent l'action au sein d'espaces bloqués, d'inter-lieux symboliques. Si le carrefour est l'endroit du passage et du choix entre plusieurs directions, il est aussi le lieu où l'on s'arrête, où l'on s'interroge. Quand au cimetière, il est par excellence l'espace de transition entre deux états pour le corps et entre une vie et la suivante. Le carrefour est ce lieu paradoxal où se côtoient le non mouvement et l'impulsion nouvelle tout comme le cimetière est l'endroit où se rejoignent la staticité des corps morts et la réamorce des corps moribonds qui renaissent à la vie, une autre vie.
Le Carrefour et Catharsis offrent deux fables où la nuit absorbe les repères spatio-temporels, où le temps semble s'être arrêté dans l'instant de la représentation ou dans celui du rituel expiatoire. Ces deux pièces mettent en scène l'Afrique et interroge son avenir. Comment ne pas reconnaître dans la figure d'Iléki qui choisit volontairement l'exil celle du Poète ? Comment ne pas éclairer l'attitude et les prises de position du Flic par la présence des chefs de guerre, des "Américasseurs" et des "Francons" (p. 11) ? Comment ne pas tisser de liens entre Ellè et la Femme, et ne pas voir en elles une seule et unique figure féminine, celle de la matrice, de la femme-racines, de la mère-nation ?
Les deux pièces divergent toutefois par leur fin très différente : si la toute petite lueur d'espoir que dessine Le Carrefour réside certes dans la possibilité de "plusieurs avenirs", la pièce se termine quand même par la longue tirade du Poète épuisé et désabusé qui ordonne de fuir. A l'inverse, en se terminant sur une naissance et la promesse d'une nouvelle génération, Catharsis offre l'espoir d'un avenir plus prometteur.

 
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Pistes de lecture

Une écriture du ventre
L'écriture de Gustave Akakpo a cela de formidable qu'elle sait utiliser toutes les ressources de la langue. Loin d'être une et homogène, elle oscille entre la vulgarité et la poésie en passant par le grotesque, la sincérité ou la création d'impressions, d'images d'une sensibilité poignante. Cette écriture fait de la langue un matériau que l'on décompose et recompose, déconstruit et reconstruit à l'infini, devenant ainsi le miroir de la situation mise en scène. L'écriture mutilée cicatrise et se fait métaphore du démantèlement puis de la remise en marche des corps. L'écriture désincarnée ressuscite pour donner à entendre le long processus de renaissance par lequel passent les personnages de Catharsis.
Au début de la pièce, Ellè est murée dans le silence. Quand elle commence à parler, sa syntaxe est boiteuse, mal assurée, ses propos sont troués. Ellè et sa langue ne forment qu'une. Ensemble, elles traduisent la déchéance et le désespoir profond dans lesquels se trouve la Reine-Mère. Le corps et l'âme meurtris d'Ellè soutiennent cette langue qui devient leur prolongement. Si l'écriture traduit la dépression de l'être, elle est aussi vecteur de guérison. Au-delà de la danse que la Reine-Mère exécute, c'est grâce aux mots que prononcent Iléfou, le gardien de l'Oracle et Ellè que la catharsis s'accomplit. La langue permet ainsi le rétablissement de la situation, des personnages et de leurs corps.
Savoir jouer avec la langue, c'est détenir le pouvoir tout immense de dire, de rendre possible, par les mots, la dénonciation. Malgré l'acidité et la crudité dont elle sait faire preuve, sa véhémence, la langue d'Akakpo ne cherche pas à choquer. Elle est un moyen de garder le spectateur éveillé. Elle provient du ventre et porte son souffle.


Une identité en crise
Qui sont les personnages de Catharsis ? Les uns, comme le caméraman/photographe/réalisateur et le gardien de l'Oracle ne sont définis que par leur fonction sociale. Les autres par leur relation filiale avec Ellè. Iléki, Iléfou et Ilénoir sont les fils de la Reine-Mère. Cependant, au-delà d'être les princes du royaume, qui sont-ils vraiment ? Qui sont ces trois hommes qui semblent avoir perdu tout identité propre et paraissent former une étrange trinité et n'être que le tiers d'une seule et même entité ? Ils ne sont désignés que par des pronoms personnels suivis d'un suffixe différencié.
Qui est Iléki ? Est-ce lui ou nous qui ne savons pas qui il est ? Ilénoir n'a rien trouvé d'autre, après avoir subi l'esclavage, que de se définir par sa couleur de peau et Iléfou semble porter dans son nom, comme au fer rouge, le jugement de ses frères qui ne comprennent pas pourquoi il reste alors qu'il n'a que faire du royaume qu'eux se disputent. Toutes ces suppositions ne sont que des hypothèses car nous ne savons finalement pas qui sont ces trois personnages qui incarnent une identité en crise.
Qui est Elè ? Une reine déchue ? Une mère incapable de remplir son rôle ? Une allégorie de l'Afrique ? Une vulgaire prostituée ? Elle est à la fois tout cela et rien de tout cela. Elè est toutes les femmes et aucune d'entre elles. Elle est une image que l'on saisit le temps d'une réplique puis qui nous échappe. Ses propos sont sans cesse en décalage avec son corps, comme s'ils ne provenaient pas de lui. Elle semble ne plus s'appartenir, parle d'elle à la troisième personne avec froideur et distance. Elle cumule plusieurs visages pour camoufler le vide de l'être et en même temps incarne les différentes facettes du peuple. Elle est une surface de projection, un réceptacle, à la fois un gouffre identitaire qui avale l'individu et la matrice, la possibilité d'une régénération de l'identité individuelle.
Au travers de Elè, c'est la crise identitaire de la jeunesse africaine qui est en question, l'angoisse des nouvelles générations qui émergent d'un passé dévasté pour se tourner vers un présent bancal et un avenir plus qu'incertain.

Si Catharsis témoigne de l'identité en crise de la jeune Afrique, elle est aussi le reflet d'une plus vaste crise identitaire qui s'étend au-delà des frontières de l'Afrique, comme en atteste l'auteur :

"J'ai eu l'occasion d'entendre ce texte en lecture publique en France et les discussions qui s'en sont suivies m'ont donné cette impression que la pièce n'a pas une parole à sens unique juste à l'endroit des Africains mais qu'elle fait écho à la crise d'identité d'une jeunesse européenne, d'une jeunesse tout court, en panne de véritables modèles dont elle a besoin pour façonner son acte d'existence." (Echange entre Gustave Akakpo et le metteur en scène Jean-Claude Berruti, 2005).

Ces questions identitaires font aussi écho à la volonté des nouveaux dramaturges africains francophones de se réapproprier, par le biais de l'écriture, une identité neuve, libérée des carcans de la colonisation, des impératifs de la couleur locale. Une identité qui ne fait pas état de manière explicite de la provenance de celui qui écrit. Il s'agit pour ces auteurs de se faire les porte-parole d'une histoire à laquelle ils participent, d'une histoire qui dépasse largement les frontières de l'Afrique. Ils sont citoyens du monde et prennent la parole au nom de tous.


Faites entrer les accusés…
Catharsis est une pièce engagée qui dénonce la colonisation et ses effets désastreux sur le continent africain. Elle fait un procès aux pays du nord avides de terres, de richesse et de pouvoir. Usant de l'ironie, l'auteur accuse tout en tournant en dérision la situation désespérée de la Reine-Mère : les allusions à la prostitution d'Ellè se teintent d'une couleur occidentale ; elle fait du "Fast-Fuck" sur des "talons Tour Eiffel" (p. 18).
Les paroles empruntées au christianisme sont détournées pour exprimer l'exact inverse de ce qu'elles sont censés véhiculer et dénoncer, par la raillerie, le processus infâme des conversions. Ainsi la célèbre phrase du Christ sur la croix : "Père, pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font" devient dans la bouche d'Ilèfou : "Que Dieu ne leur pardonne pas car ils savent bien ce qu'ils font" (p. 26). De même, le "Je vous salue Marie" se voit modifié par Elè : "Vous êtes maudite entre toutes les femmes et le fruit de vos entrailles est maudit. Reine-mère, mère des damnés, pleurez pour nous, seuls pêcheurs maintenant et surtout à notre naissance" (p. 15). Cette dernière réplique démontre que, tout en fustigeant les pays du nord, Ellè s'auto-flagelle. L'accusation de la part de l'auteur est sans conteste à double tranchant.
Si Catharsis dénonce le comportement des pays du nord, elle entend aussi faire le procès de l'Afrique, terre personnifiée par Ellè qui s'est prostituée, a vendu ses enfants pour de l'argent, a charmé les puissances du nord jusqu'à en perdre son âme. L'Afrique est cette terre pour laquelle le peuple s'entretue, fuit et choisit l'exil plutôt que de prendre son avenir en mains et agir.
Ellè (voix autoritaire) : Ne dis pas comme ton frère : "Au Nord là-bas, je réussirai, là-bas où coule le miel ; ici les mouches poussent sur des cadavres qui s'accrochent à la vie." (p. 14)

Elle est aussi la gardienne des traditions, des rituels et des croyances ancestrales dont se moque le photographe/cameraman/réalisateur : "Tu penses sérieusement que ton rituel vaudou-truc va faire baguette magique et mettre un point final au génocide ambiant ?" (p. 8)

 
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De plain-pied dans le texte

ELLÈ : Dis à la Reine-Mère qu'elle est belle, dis-le.

ILÉFOU : Tu es belle.

ELLÈ : Pas comme ça. Dis-le comme si elle ne t'avait pas demandé de le dire.

LE GARDIEN DE L'ORACLE : Tu es belle, aussi belle que la source dont les fleuves lointains chantent la beauté.

ELLÈ : Belle, usée, mais belle. Est-elle encore désirable ?

ILÉFOU : Malgré leur mépris, ne trouvent-ils pas en toi des charmes qui les ramènent dans tes senteurs intimes ?

ELLÈ : Désirable. Vieille mais désirable. Suis-je toujours une femme ?

LE GARDIEN DE L'ORACLE : Plus qu'une femme, une mère.

ELLÈ (rire hystérique) : Tes paroles ressemblent à la souris qui ronge les doigts et souffle sur la douleur.

ILÉFOU : Maman…

ELLÈ (elle tressaille en proie à une vive émotion) : Il y a si longtemps que nul ne l'a appelée maman.

ILÉFOU : Maman…

ELLÈ : Djédjévigné…

ILÉFOU : Maman, j'ai besoin de toi…

ELLÈ (elle chante) : Mégba fanvi lé zammé na mo
Zangbéto lo ho gbé lo sio nam lo
Djédjévigné lo tobolo
Mèkè bé djédjévignéma tobolo ?
Mèkè bé djédjévignéma tobolo ?
Mégba fanvi lé zammé na mo
Zangbéto lo ho gbé lo sio nam lo
Djédjévigné lo tobolo

LE GARDIEN DE L'ORACLE (soudain voix des enfants abandonnés) : Méchante mère ! Tu les a laissé me faire mal. Ils m'ont pris sur le bateau et ils m'ont fait des choses. Ils m'ont…

ELLÈ : Ils t'ont… Ô Dieux !

ELLÈ (elle chante) : Mèkè bé djédjévignéma tobolo ?
Nétoè bé djédjéviélo tobolo ?

LE GARDIEN DE L'ORACLE (il la coupe) : Tu n'es même pas belle !

ELLÈ : Non ! Elle est belle… désirable.

ILÉFOU : Tu n'es qu'une sale traînée.

ELLÈ : Pas une traînée ! Une femme, une mère !

LE GARDIEN DE L'ORACLE : Une traînée qui, au bordel, fait chuter le cours du cul.

ELLÈ (avec commisération sur elle-même) : C'est eux qui fixent les prix. Je ne suis pas une traînée, juste une mère et les enfants doivent manger.

(Elle pleure. Elle danse. Danse de repentance.)

ILÉFOU (criant) : Griots ! Griots de la grande confrérie des chantres des chasseurs ! Allez partout porter la nouvelle !

LE GARDIEN DE L'ORACLE : La Reine a pleuré.

(pp. 28-30)

 
 
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Pour poursuivre le voyage


Du texte à la scène
Publiée en 2005, Catharsis a été créée à Limoges le 6 octobre 2006 dans le cadre du festival des Francophonies en Limousin, dans une mise en scène de Jean-Claude Berutti.

Bibliographie
Sylvie Chalaye, "Catharsis de Gustave Akakpo. Pagnes et cendres pour conjurer le sort", Africultures, 31 octobre 2006, http://www.africultures.com/php/?nav=article&no=4651

 
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Fiche réalisée par Sigrid Carré-Lecoindre, étudiante Univ. Paris 3, SeFeA

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