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Fiche pièce
Petit Frère du rameur (Le)



L'AUTEUR
Efoui Kossi



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Petit Frère du rameur (Le)
Efoui Kossi

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Laurence BARBOLOSI


  Togo
1993
Editions Lansman, 1995
 
Genre
Tragédie

Nombre de personnages
1 femme
2 hommes


Longueur
3 tableaux
24 pages


Temps et lieux
Une nuit, dans un ancien studio de cinéma désaffecté

Thèmes
errance , exil , mort , mémoire , oubli , monumentum

Mots-clés
cinéma , exil , fait divers , immigration , mémoire , presse
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

L'action se passe dans un ancien studio de cinéma désaffecté pendant la veillée mortuaire de Kari ; celle-ci s'est défenestrée trois jours auparavant. C'est la nuit. Le corps de la défunte doit être enlevé par le rameur. Maguy, Marcus et le Kid attendent l'événement, ils le guettent par la fenêtre. Parallèlement, Maguy cherche dans les journaux l'annonce de la mort de Kari et Marcus rêve au film qu'il veut réaliser.

 
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Parcours dramaturgiques

Le petit frère du rameur semble appliquer la loi des trois unités (temps, lieu, et action) propre à la poétique classique :

Le temps de la fiction est en parfaite adéquation avec celui de la représentation - l'action débute juste avant minuit et s'achève une heure après environ (temps réel de la représentation). Néanmoins, une temporalité "autre " est convoquée par le texte. Le ressassement d'événements passés - la lecture répétée des faits divers dans la presse par Maguy - jusqu'au disloquement de ceux-ci par Marcus et Le Kid qui n'en conservent que des bribes inarticulées, introduit une temporalité qui renvoie au temps cyclique, archaïque, pour devenir un temps désarticulé qui finit par exploser à force de tourner en rond.

Le lieu de l'action est unique, c'est une pièce close dont seule une fenêtre permet d'accéder à l'espace plus vaste dans lequel il s'inscrit : un ancien studio de cinéma. Ce dernier symbolise un lieu abandonné, un no man's land dont la pancarte, " chantier interdit ", témoigne de la précarité de ses occupants.

L'action principale est linéaire : les trois protagonistes guettent l'enlèvement du corps de Kari. Néanmoins, aucun principe de causalité ne vient justifier cette action. C'est une pièce " paysage " dans la mesure où l'attention du spectateur est essentiellement mobilisée par le jeu de langage qui se noue entre les personnages. L'événement central (l'enlèvement du corps) demeure parallèle à l'action scénique : il dépend d'un personnage hors champ, le rameur.

Les trois protagonistes, Marcus, Maguy et Le Kid - ainsi que les deux personnages hors champ (Kari et le rameur) - sont essentiellement définis par leur statut d'immigré (leurs origines ethniques ne sont pas précisées par l'auteur). Aucune relation interpersonnelle ne semble les relier entre eux. Maguy est totalement mobilisée par la quête d'une trace médiatique de la mort de Kari, Marcus ne pense qu'au film qu'il rêve de réaliser et le Kid ne cesse d'entrer et sortir afin de voir le rameur emporter le corps de la défunte. Aucun de ces trois personnages n'est véritablement concerné par la veillée mortuaire qui se déroule dans un squat voisin. Seul le lieu qu'ils occupent suffit à justifier leur présence scénique. Les caractères qu'ils possèdent sont constants, aucun événement ne parvient à perturber leurs parcours " psychologiques ". Chacun d'eux évolue dans une temporalité qui lui est propre : Maguy est animée par le passé (la mort de Kari), Marcus par le futur (le film qu'il veut tourner) et le Kid par le présent (l'enlèvement du corps de Kari). Leurs trajectoires respectives restent parallèles.

Le poème dramatique est divisé en trois tableaux destinés au seul lecteur puisque aucun élément scénique ne vient traduire cette distinction. Chacun de ces trois tableaux s'articule autour d'une thématique particulière : le premier tableau traite de l'identité (l'exil, la terre d'origine, la mémoire…), le second interroge la notion d'événement (la presse, la mort…) et le troisième pose la problématique du rite funéraire (le cadavre, l'enterrement, l'honneur…).

Très peu de dialogues, sous forme de bouclage (ou emboîtage), parcourent le texte. L'emploi de citations est significatif et l'usage du chant (sous forme de chœur) est récurrent. La parole est instrument, essentiellement de l'ordre du commentaire ou du rêve, elle ne fait pas avancer l'action. Les didascalies, peu nombreuses, sont brèves et indiquent toujours l'action scénique des personnages. L'absence quasi totale de tension dramatique pourrait assimiler cette tragédie à une œuvre de type " lyrique ", à une sorte de long thrène.

 
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Pistes de lecture

En s'attachant particulièrement à la dramaturgie de l'événement tragique, c'est-à-dire aux moyens poétiques mobilisés par l'auteur pour rendre compte du tragique de la mort de Kari, une thématique centrale semble pouvoir se dégager : celle du monumentum - le monumentum comme tout ce qui perpétue le souvenir du mort, qui inscrit sa mémoire dans une réalité matérielle, tangible, et qui évite qu'il sombre définitivement dans l'oubli. Le rôle que joue Maguy à cet égard est particulièrement significatif.

La pièce commence alors que Maguy cherche désespérément dans la presse une trace de la disparue mais pas un seul entrefilet ne mentionne l'événement. Par contre, nombreux sont les drames de nature spectaculaire qui s'y trouvent relatés. Néanmoins, l'excès, l'accumulation, dont ils font l'objet, renvoient paradoxalement à l'absence de tout événement. L'événement tragique est devenu un fait divers. Ce processus de banalisation, propre à la surmodernité, trouve ici sa correspondance dans l'absence même d'inscription de la mort de Kari dans le journal : une mort anonyme assimilée à de simples statistiques. Maguy en fait le triste constat : " Pendant que tu n'étais pas morte, j'étais rassurée par les événements […] Et j'ai appris, Kari, tu n'est pas seule. […] Tous les cas te ressemblent et tu n'y es pour rien […] On compte des corps. Suffit de regarder. Des chiffres à longueur de page…" (p. 19)

Dans un second temps, Maguy, qui ne peut tolérer cette absence de trace médiatique, va, elle-même, prendre en charge la mémoire de Kari en citant certaines bribes de conversation qu'elle a pu échanger avec son amie. Néanmoins, cette tentative reste vaine puisque le témoignage qu'elle effectue ne se réfère nullement à la mort de Kari mais au contraire à la vie des deux femmes. Le tragique de notre surmodernité est alors évoqué dans la manière dont Maguy associe sa vie à celle de la défunte. Aucune frontière, tant sur le plan matériel que symbolique, ne parvient plus à distinguer la vie de la mort. Les morts n'ont plus d'espace privilégié et les vivants subissent l'errance.

Dans un troisième temps, Maguy, loin d'abandonner sa quête, va tenter de convaincre Marcus d'intégrer la morte dans son film mais celui-ci refuse. La captation du réel n'est plus l'objet du cinéma. Aussi, l'ancien studio de cinéma est-il devenu un " chantier interdit ".

Parallèlement à la quête de Maguy, un événement se fait attendre : l'enlèvement du corps de Kari par le rameur pour l'enterrer. Face aux multiples échecs de Maguy, seul le récit de cet événement parviendrait encore à inscrire Kari dans la mémoire collective. Néanmoins, quand, à la fin de la pièce, le corps de Kari est enfin emporté et que le Kid, seul témoin de l'événement, revient sur scène, il n'a strictement rien à raconter. Il dit juste : " C'est fini, elle est partie. La fourgonnette ne voulait pas démarrer ; alors on l'a poussé. Elle a emporté Kari en vitesse… on voit mieux de la fenêtre." (p. 28). C'est à ce moment, qu'en désespoir de cause, Maguy invente un texte susceptible d'immortaliser Kari, de lui rendre sa mémoire et sa terre d'origine. Ce témoignage désespéré est composé de phrases lacunaires où l'urgence s'impose : " Ca flambe, Marcus, ça flambe… La fourgonnette pour Kari, elle a pris feu de tous côtés. Danse Kari. Une, deux, trois… et trois, quatre : toutes les fenêtres pour Kari, à ciel ouvert, dansant feu et flammes, ma mère… Ouvre tes oreilles musicales. Kari. Flambe dans ton habit neuf et nargue…Nargue les insectes qui piquent les yeux morts et les bestioles qui font la fête dans les boyaux… et les gros oiseaux qui bouffent cru…" (p. 28).
Mais le Kid, de nouveau à la fenêtre, l'interrompt en disant : " R.A.S." C'est là, la dernière réplique de la pièce.

En définitive, ni la presse, ni le cinéma, ni le Kid, ni la fenêtre, ne donne accès à la mort de Kari. Il n'y a plus rien à voir, plus rien à raconter. Nous sommes ainsi en présence d'une absence totale de représentation de l'événement tragique. Et pourtant, celui-ci parvient à être représenté là-même où il est absent. Aussi, n'est-ce plus l'événement en soi qui est tragique mais son absence, son inexistence, et par extension, l'indifférence dont il fait désormais l'objet.

C'est donc bien la question du monumentum qui se pose ici dans sa forme contemporaine et plus précisément, celle de sa fin, avec toute l'angoisse que cela peut signifier pour les vivants. Le seul espace qui, finalement, reste possible pour inscrire cette mort dans la mémoire collective est alors le poème dramatique où le dramaturge, à l'instar de son personnage, Maguy, se sert de la fiction pour témoigner du tragique de la surmodernité et transforme son propre texte en stèle funéraire, soit en monumentum.

 
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De plain-pied dans le texte

Maguy (lit des journaux en vrac, à voix haute) : " La femme fut traînée à travers les rues du village et lapidée pas des enfants et des grands, hommes et femmes ".

Voix de Marcus : Tu vas à la veillée ?

Maguy : " Au procès de deux skinheads de Mölln, accusés d'avoir brûlé vives trois femmes turques, déposition d'un témoin mineur : c'était électrisant comme une belle fille ".

Voix de Marcus : La millième fois que tu lis les mêmes articles.

Maguy : Les mêmes journaux.

Voix de Marcus : Depuis trois jours.

Maguy : Depuis trois jours, on ne parle pas de Kari dans un seul journal.

Voix de Marcus : On ne sais pas pourquoi elle s'est tuée.

Maguy : " Le treizième apôtre de Jésus-Christ, Jean Bedel Bokassa, est sorti miraculeusement de prison ".

Voix de Marcus : Tu vas à la veillée ?

Maguy : " Au procès, le treizième apôtre… "

Voix de Marcus : Le groupe s'avance dans les ruines de la ville. Rien derrière. Rien devant. Il y a silence dans la ville. Musique dans le film.

Maguy : Marcus ? Ras Marcus ? Tu m'écoutes ? Deux dames m'ont abordée l'autre jour dans la rue… Il y a trois jours, je venais vers ici. Les deux dames : " Mademoiselle, mon amie et moi, nous voulons vous parler de la signification des événements actuels ". Authentique, Marcus. Ras Marcus ?

Voix de Marcus : Oui.

Maguy : On ne parle pas de la mort de Kari dans le journal. Pas un seul. L'autre fille qui est morte, on en a parlé. Celle que ses parents ont tuée parce qu'on ne pouvait plus la rapatrier en Turquie pour la marier. On en a parlé parce qu'on sait de quoi elle est morte. Kari, on ne sait pas… On ne sait pas ?… Ou on se tait ?

Voix de Marcus : Oui

Maguy : Oui comment ?

Voix de Marcus : On se tait. On sait et on se tait.

Maguy : Les deux dames qui m'ont abordée l'autre jour, je les ai insultées. … Non, ce n'est même pas vrai. Je suis restée. J'avais envie de parler de n'importe quel événement. Kari venait de mourir. A force d'événements actuels, on finirait sûrement par tomber sur Kari. On finira tous par tomber sur Kari les uns après les autres. On se tait, on tombe. On explique, on tombe aussi. Les deux dames, elles semblaient tout comprendre : " ce sont les derniers temps qui s'annoncent, ma fille ". De temps en temps, elles parlaient un peu comme toi, quand tu parles du rameur.

Voix de Marcus : Je ne parle plus du rameur.

Maguy : J'ai dit : " C'est possible que Jésus meure dans un accident d'autocar ? " Elles ont dit : " C'est impossible ! "

Voix de Marcus : Le groupe s'avance dans les débris de la ruine…

Maguy : Le groupe s'avance dans les ruines de la ville, tu avais dit.

Marcus (apparaît) : Tu fous la paix au monde ?

Maguy : C'est quoi le titre de ton film ?

Marcus : Je ne sais pas.

Maguy : Difficile à croire.

Marcus : Ca raconte que je suis né là-bas d'où je suis venu.

 
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  Du texte à la scène…

Le petit frère du rameur a été écrite au cours d'une résidence de huit mois à Epinay-sur-Seine, à la Maison du Théâtre et de la Danse, dans le cadre de la manifestation théâtrale " Regards Contemporains ". Cette pièce a fait l'objet d'une mise en espace le 25 octobre 1993, sous la direction de Grégoire Ingold et de l'auteur.

 
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Pour poursuivre le voyage


Sylvie Chalaye : Dans votre dramaturgie il y a quelque chose qui est, peut être, de l'ordre de l'histoire filtrée par la tradition l'oralité. C'est très fort dans des pièces comme Récupérations ou Le petit frère du rameur. Tout d'un coup, on a une réécriture de l'histoire qui n'est pas l'histoire dans la pensée occidentale, mais qui est une réinvention du rapport à l'histoire.

Kossi Efoui : Nous sommes venus au monde autour des années 60, en Afrique noire. Nous sommes les enfants des Indépendances. Nous avons connu toutes sortes de dictatures, dures ou molles. Et qu'est ce qui a structuré, profondément, ces systèmes de pouvoir ? Une référence constante à la tradition, à une identité intemporelle, à une histoire qui n'a pas suivi son cours, qui a été subitement décapitée par l'esclavage et la colonisation. Bref, nous sommes des enfants qui avons appris qu'il y a une histoire qui a commencé avant nous et que nous sommes sommés de continuer en fermant la parenthèse. Par exemple, à l'école on lisait des livres mais en même temps on nous disait : "Attention, il y a une autre littérature qui participe de votre essentialité." Et quand on se met à écrire, toutes ces questions surviennent. Alors qu'est ce qu'on fait ? On considère de façon radicale que le passé est une altérité et qu'on construit un rapport à l'altérité. Tout cela demande une réappropriation, et ce qui compte dans ce que j'écris, c'est comment j'ai conscience de la réappropriation que je fais de ma propre mémoire ou de ce qui peut me revenir de l'oralité, je me comporte comme devant quelque chose d'exotique avec lequel je fabrique un rapport. J'ai le choix de prendre ou de ne pas prendre. Et si je prends, je le transforme, car écrire, spécialement écrire du théâtre, c'est transformer.

Sylvie Chalaye : On a le sentiment, quand on aborde votre théâtre, qu'au lieu d'écrire des histoires linéaires, vous construisez des écheveaux de fils aimantés vers un désir d'histoire inassouvi. Ce sont des élaborations d'histoires qui se perdent. C'est très net dans La malaventure et surtout dans Le petit frère du rameur. Y mettez vous du sens ou est ce une pure pulsion ?


Kossi Efoui : Les stoïciens disaient : il faut que la raison domine les entrailles. Ecrire, c'est faire en sorte que la raison, la conscience de ce que l'on fait domine les entrailles. Evidemment, il y a des pulsions, mais ce qui m'intéresse, c'est a posteriori ce que le texte me renvoie et qui me permet de comprendre ce qui est à l'origine. Ecrire, c'est sortir de l'origine, encore faut il prendre conscience de l'origine, mieux, des origines.
L'inachèvement est chez moi lié au fait d'être né en 62, dans une société qui inaugure en 63 le coup d'Etat sanglant en Afrique. En 67, Eyadéma prend vraiment le pouvoir. Plus tard, je découvre tout cela et j'ai terriblement mal. Et c'est à partir du moment où j'ai commencé à mettre un mot à côté d'un autre sur un bout de papier que j'ai compris ce qui faisait mal. J'ai alors tout remis en cause. A commencer par l'Histoire, et je continue à me dire : qu'est ce qu'on ne m'a pas dit ?

Sylvie Chalaye : " Entretien avec Kossi Efoui " (Paris, juin 2000) in Afrique noire : écritures contemporaines, Théâtre/public, n°158, mars-avril 2001, p. 83-84.

 
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Fiche réalisée par Laurence BARBOLOSI

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