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Fiche pièce
Tout bas... si bas



L'AUTEUR
Lamko Koulsy



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Tout bas... si bas
Lamko Koulsy

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Sylvie Chalaye


  Tchad
1995
Editions Lansman
 
Genre
Comédie dramatique

Nombre de personnages
2 femmes
5 hommes
1 enfant
(2 femmes, 5 hommes, 1 fillette)

Longueur
5 tableaux
42 pages


Temps et lieux
Un bidonville aujourd'hui

Thèmes
Naissance difficile des démocraties africaines

Mots-clés
Bidonville , cimetière , démocratie , Enfant , journaliste , Messie , Orphée , politique , rêve
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

"Puisque dans la gamme des hécatombes nous sommes arrivés à saturation, au bout du rouleau, tout bas si bas, je veux bien croire qu'il s'agit d'une mythique naissance." (p.13)

Un père revenu de tout qui a connu le temps des Indépendances mais préfère aujourd'hui vivre loin du monde perché sur un arbre, une vieille sans descendance, chassée de son village pour sorcellerie qui chaque jour cherche son image dans l'eau d'une calebasse et une gamine précoce prête à tout pour s'en sortir qui annonce la naissance d'un bébé miraculeux né des entrailles de la vieille. Telle est la trinité qui ouvre la pièce.
Pas plutôt annoncée, la naissance du bébé est relayée par la voix d'un reporter qui fait de cette naissance l'arrivée d'un messie. Bientôt tout le monde veut s'approprier l'enfant. Mais cet enfant n'est qu'une fable, un mensonge inventé par la fillette pour faire descendre le père de son arbre, un rêve qu'il faut aller chercher au fond de soi, "tout bas... si bas", pour continuer à croire en l'avenir, un songe auquel la fillette et le reporter vont tenter de donner des ailes.

 
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Parcours dramaturgiques

Des personnages de conte
Bien que très réalistes, les personnages représentent des entités, telles qu'on en trouve dans les contes : le père, la grand-mère, la fillette. C'est sa place dans la hiérarchie familiale qui définit chaque membre de cette trinité, sans qu'il appartiennent pour autant à la même famille. Le père incarne l'instance de l'autorité paternelle dominante mais démissionnaire, la grand-mère l'ancêtre dépassée et la gamine une jeunesse déboussolée, tandis que les autres personnages ne sont que les représentants d'un pouvoir frelaté : les médias, l'Armée, l'Eglise, l'Islam, l'autorité politique...


Des personnages en quête d'auteur
Dans les didascalies liminaires qui habituellement donnent des renseignements précis sur les personnages, Koulsy Lamko s'amuse à insinuer le doute, comme s'il n'en maîtrisait pas l'existence, comme si ses personnages lui échappaient, d'où l'accumulation des questions, les intéro-négatives, les dérobades du genre: " Ne me demandez pas ce qu'il fait dans l'arbre depuis six mois" (p. 6) ou les pirouettes comme " Que vient-il faire dans cette aventure ? Pour que l'histoire fonctionne il fallait un élément perturbateur de l'équilibre initial" (p. 6).


A la façon d'un mystère médiéval
La pièce est construite comme une Nativité du théâtre sacré. Après la naissance miraculeuse de la première scène, arrive un curieux ange qui proclame l'arrivée du Sauveur, il s'agit du reporter, une adoration des mages lui fait suite, avec l'officier, l'évêque, l'imam, le maire... mais une fois la nuit tombée les mages se métamorphosent en vulgaires dealers dont les offrandes ne sont plus que liasses de billets. Le mystère sacré cède la place à de sordides négociations politiques.

 
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Pistes de lecture

La force de la pièce de Koulsy Lamko repose sur la valeur allégorique de ces personnages qui expriment les trois âges de l'Afrique.

L'Afrique précoloniale

"L'avenir lui rendra-t-il un jour son visage disparu dans la nuit ?" (p 6.)

Cette grand-mère sans descendance, qui a été chassée de son village et qui ne reconnaît plus son image dans l'eau de la calebasse, cette vieille qui ne parvient pas à mourir représente l'Afrique ancestrale, devenue stérile dans le monde actuel, défigurée par la colonisation, incapable d'engendrer l'avenir.
Fille de forgeron, fille de divination, elle a été industrieuse et clairvoyante, mais le monde actuel ne reconnaît plus ni son savoir-faire, ni sa sagesse. Elle est l'image d'une Afrique momifiée. Et les rhumatismes qui la paralysent ne sont que la sclérose symbolique de son impuissance.
Entièrement dévouée à son rituel, elle ne participe pas aux événements, et parle une langue musicale et poétique, mais obscure, la langue des Anciens qui procède par paraboles et convoque la nature, mais que personne ne comprend plus.
La vieille joue le rôle de l'Ancêtre témoin d'une époque. Dramaturgiquement, elle ponctue l'action et semble exprimer les lamentations du Choeur comme dans la tragédie antique.


La génération désabusée des Indépendances

Il y a des douleurs qui ont honte de se pavaner seins nus sur la place publique, en jupette d'écorces battues (p. 16)

Ce père démissionnaire qui ne veut pas descendre du figuier où il a élu domicile n'est pas le père de la fillette. Il est seulement l'image d'une génération d'hommes qui a renoncé à se battre pour survivre et qui se réfugie dans les nuages de ses idéaux perdus. Il n'a plus la force de mener le combat et préfère attendre loin du tumulte sa propre destruction : "Je suis monté dans le figuier en jurant de n'en descendre que par lambeaux lorsque les termites que je cultive dans ma poignée de terre auront dévoré mon cadavre." (p. 26) Incapable de montrer le chemin et d'assurer son rôle de père, il préfère disparaître et observer de loin sans intervenir.


L'esprit casse-cou de ce siècle

" Elle n'a rien d'une fillette. Mais n'est-ce pas cela l'esprit casse-cou de ce siècle ? La misère n'enseigne-t-elle pas la précocité ?" (p. 6)

Jeune gavroche qui vit de "démerde", la gamine incarne une génération qui a grandi trop vite. Elle n'a que treize ans et a déjà plus vécu que tous les personnages. Mais en dépit de ses souffrances passées, elle a gardé la fraîcheur de l'enfance, elle sait encore jouer, et surtout inventer des histoires et c'est cette force-là qui lui permet créer l'avenir auquel les autres ne croient plus.



Un rêve démocratique pour demain

La naissance des jeunes démocraties noires s'inscrit sans doute dans le mythe du bébé au bras pyrogravé : une lubie des dispenseurs de mirages. (p. 5)

Tout un pan de l'histoire de l'Afrique a été engloutie par le séisme colonial. La faille que cette époque a laissé derrière elle s'exprime dans la pièce par l'absence de toute figure maternelle. Ni la vieille perclue de rhumatismes, ni la fillette qui joue encore à la poupée ne sont en âge d'engendrer l'Afrique de demain ? Qui peut alors porter l'enfant de l'avenir ? Seuls l'imagination et l'espoir, cette force de création qui est la détermination même de cette Afrique trop jeune peut-être, mais prête pourtant à relever tous les défis.



Du médiatique au messianique

" Ils ont une fois de plus cassé la petite lampe au verre brisé qui vacillait dans le vent. J'avais pourtant besoin d'un peu de lumière pour aérer ma parole..." (p. 41)

Auprès de la fillette et des pouvoirs de l'enfance le reporter se métamorphose. D'abord "perroquet de journaliste", il apprend à rêver au lieu de répéter et devient le créateur d'un mythe, autrement dit l'artiste dont la parole peut réveiller le bébé miraculé qui dort tout bas... si bas, l'artiste qui grâce à l'enfance pour soulever l'espoir, et aider son peuple à accoucher de ses rêves.

 
 
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  Du texte à la scène…

Création octobre 1998 à Montréal, dans une mise en scène de Martin Faucher avec le Théâtre de la Licorne, reprise en 1999.

 
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Pour poursuivre le voyage


Extrait d'un entretien avec Koulsy Lamko autour de Tout bas... si bas paru dans Théâtre/Public n° 158.

Vous êtes un auteur engagé. Quelles sont selon vous les responsabilités de l'écrivain africain aujourd'hui, et ses pouvoirs aussi ?
Engagé oui, puisqu'il me semble que c'est l'essence même de mon rôle citoyen. Etre soi-même, investir pleinement les trois dimensions du Temps par une action consciente, c'est-à-dire : mémoire par rapport au passé, subversion par rapport au présent, rêve en face du futur. Il me semble que l'engagement s'inscrit dans ce rôle de vigile, veilleur et éveilleur de conscience. Témoigner, dénoncer ce qui tue la vie, provoquer une lecture permanente de ce qui par le temps devient l'établi, la norme ; provoquer l'espoir, servir l'espace de la respiration nécessaire à la régénération des vies, offrir sa subjectivité en sacrifice sur l'autel de la nécessité, être libre pour les autres, être un fabricant de joie et la liste est longue des périphrases qui me semblent devoir induire ce rôle citoyen de l'écrivain.

Dans Tout bas... si bas, le personnage du reporter subit une véritable mutation, sa parole d'abord creuse et frelatée se charge artistiquement. Que signifie pour vous cette métamorphose ? Pourquoi est-il brutalement tué ?
Le reporter dans Tout bas... si bas pourrait se lire comme la figure symbolique du "gose", du "poète dans la cité", de celui qui, possédant l'information, possède de ce fait la connaissance et est donc susceptible de féconder l'espoir dans une cité engourdie, désespérée. Tout acte de fécondation, de prise de parole active du "gose" est précédé par un rituel d'autoprésentation, d'autodéfinition, d'autocaractérisation qui le situe clairement et écarte tout préjugé et tout quiproquo quant à l'objectif que poursuit sa parole subséquente.
Le reporter dans la première partie du texte décline son identité : "Naturel, ma petite dame! parler c'est mon job... C'est que tout me regarde, ma petite dame. Et j'ai toujours pensé que je suis né pour tenir la torche, qui éclaire l'orgasme de ceux qui copulent au milieu de l'aveugle désastre... Je ne suis pas un nom, mais un visage dessiné dans les visages de tous les gens sans nom. Je parle pour les autres."
Puis il dénonce violemment les situations de corruption, d'injustice et de guerre. Ensuite il décide de semer le rêve en diffusant la rumeur complètement folle de la naissance d'un enfant qui apporte la paix et la prospérité. Le poète prend la responsabilité d'impulser le rêve. Peu importe la vraisemblance, n'est-il pas un fabricant de fables ? un semeur de graines de fiction ? Pour lui, "le mensonge reste la seule espérance"; puisqu'on est tombé si bas dans le gouffre et qu'il n'y a pas d'autres alternatives que de remonter la pente si l'on veut encore vivre.
Si dans la seconde partie de l'oeuvre la parole du reporter se précise, c'est parce que l'acte posé suscite des réactions qui lui révèlent crûment l'état de putréfaction dans laquelle patauge sa société. Sa rencontre véritable avec le père lui révèle la force de l'inertie, sa rencontre véritable avec la fillette (lorsque celle -ci se livre à lui) met à nu la nécessité d'un engagement militant. Son rôle subversif d'éveilleur de conscience se précise, il clame qu'il détient une force capable d'inverser l'ordre des choses : "Je veux désormais dire le rêve, sans gant frileux. Je veux dire le rêve parce que j'ai à portée de bouche, la parole qui écartèle. J'ai à portée de voix le cri qui égratigne, gifle, griffe, met en charpie le hideux mensonge de la bienséance." L'ennemi est bien identifié. C'est la classe de tous ceux qui gouvernent par la corruption, la violence et font du peuple le marchepied, l'essuie-boue de leur semelle. La confrontation est inévitable et l'engagement dans la lutte devient devoir. Cette lutte se fait dans la pleine conscience de la fragilité du poète, dans le plein discernement du risque de perdre sa vie. Mais il ne doit pas avoir peur : "Nous avons créé un mythe et les héros d'un mythe ne meurent jamais. Ils sont en dehors du temps, ils sont en dehors de l'espace. Ils échappent à la terre, à la crue, au tourbillon, au feu, à la raison... ils vivent donc éternels pour redire le mythe." A partir de ce moment, parler pour parler n'est plus utile. La parole réduite à des stichomythies devient acte. Laconique, elle est stratégie, n'est plus investigation, affirme davantage qu'elle ne se cherche, se fait irréfutable vérité jusqu'à la vision de l'inéluctable torture et mort : vision prémonitoire qui s'exprime dans une sorte d'affabulation mais qui se concrétise pendant le jeu même de répétition.
Difficile que le reporter, "poète dans la cité" qui veut aller jusqu'au terme de son engagement citoyen échappe à la tragédie... On pense presque à une forme de suicide ; on se souvient de l'itinéraire christique. Le destin tragique de Norbert Zongo est encore frais dans nos mémoires pour en être l'illustration. L'assassinat que l'on perpétue contre "le poète dans la cité", s'il n'est pas physique prend évidemment d'autres formes d'ostracismes et de baillons sophistiqués. Mais le crime prémédité a presque toujours lieu.


Votre écriture est très allégorique.
Tout a déjà été dit. Ce qui fait qu'une oeuvre peut avoir la prétention d'être le fait d'un créateur particulier, mais c'est en fait la nuance qu'elle apporte dans la façon dont elle est enveloppée qui importe. L'allégorie est une façon d'exprimer autrement ce que tout le monde peut relater objectivement. Si j'ai la prétention de m'affirmer poète, il me semble important de recréer d'autres dimensions à la réalité observable, de faire oeuvre de poésie, de beauté ou de laideur, d'exagération, d'affabulation. Ma subjectivité ne trouve d'espace de réalisation que dans l'univers intime construit d'images et d'énigmes. Elle doit faire tinter les mots de la parole que je construis, habiter les signes que je manipule, leur créer une signifiance nouvelle, élargir le champ des connotations habituelles. On oublie souvent que l'aventure de l'écriture est d'abord avant tout une aventure intime, personnelle, un jeu avec les mots, une orgie où le trop plein qui déborde se doit de trouver contenance.

Votre théâtre n'est pas réaliste et pourtant il témoigne avec force de la réalité. Comment expliquez-vous cette nécessité du mensonge qui est au coeur d'ailleurs de Tout bas... si bas ?
Le théâtre se bâtit sur l'illusion que l'on peut donner de la réalité. Il est représentation de la réalité et non reproduction. La plus parfaite des simulations ne sera jamais la réalité d'un phénomène avéré. Partant de ce principe de base-là tous les mensonges sont permis pourvu qu'ils obéissent à une logique interne suffisante pour que le propos ait une cohérence et se prête à une interprétation intelligible. Je ne puis faire le choix d'habiter l'espace par excellence de la liberté qu'est l'espace du théâtre pour paradoxalement y brider mon imagination.

Est-ce la fabulation du conte, du mythe ? Pourquoi aussi ce recours à un mythe biblique ? Comment situez-vous votre écriture par rapport à la tradition orale ?
Le mythe de "l'enfant prédit", qui finit par naître, dont on attend beaucoup mais qui ne satisfait pas cet horizon d'attente n'est pas seulement caractéristique du destin particulier du Christ. Ce mythe est fréquent dans bien des traditions orales. Dans le contexte sociologique mbay dont sont issus mes parents, le destin de l'enfant miraculé ne s'accomplit pas. Cela en raison d'erreurs qui se glissent dans l'observation des interdits devant régir les conditions d'accueil d'un tel enfant. Mais il ne se réalise pas non plus parce qu'il faut que la société ne se complaise pas dans l'attente d'un messie, d'un deus ex machina qui par sa baguette magique transformerait le monde et le rendrait meilleur : une véritable leçon de prise en main de ses responsabilités et de son propre destin.
La prédilection que j'ai pour ces récits de la tradition orale se justifie par les richesses inouïes qu'ils contiennent. Ce sont de véritables filons ; il suffit de dégager la poussière qui les enveloppe pour découvrir tout leur éclat. Une bonne partie de la bible est constituée de mythes ; l'on peut aisément évaluer l'impact de ces mythes de par la vérité universelle qu'ils disent.
L'heure du conte était la classe d'éducation civique et religieuse, le temps de l'éducation à la citoyenneté et à la prise de parole. J'estime jouer le rôle du "gose", ce poète de la cité qui le soir au centre du cercle autour du feu, recrée le conte, le réinvente, l'habille de poésie, invente et improvise des versets, des airs de chants, dénonce l'injustice, se moque des travers de la communauté, interroge l'établi, laisse libre cours à l'égrillard, à la verdeur, au cynisme, improvise un pas de danse, évoque le merveilleux... J'utilise d'autres outils pour l'exercice de ce rôle notamment l'écriture, le théâtre, le film, etc...mais rien n'a changé fondamentalement. Je me situe dans le continuum de ce rôle. Comment donc ne pas nourrir mon inspiration de ce qui en constitue la sève ? Je suis très à l'écoute des chansonniers traditionnels qui m'inspirent le rythme.
Le théâtre est de surcroît l'art de la cristallisation du verbe et du corps poétiques... tous outils de prédilection du "gose". Pour la confidence, très souvent, je joue mes personnages dans le secret de mon bureau en français ou en mbay, je les enregistre au magnétophone ; le rendu écrit n'est qu'une retranscription corrigée et enrichie.

Le sens de Tout bas... si bas est entre le murmure et le gouffre. Que faut-il comprendre ?
Le murmure et le gouffre pourquoi pas ? La menace du chaos ; cet espèce de gouffre qui happe l'Afrique qui a choisi de ne pas entendre le murmure d'un sursaut collectif vital et qui sombre dans la folie des guerres de pirates, des xénophobies primaires, des génocides. L'hymne de la vraie révolution se devait d'être comme une romance pour la vie, un air qui se chuchote, se confie, crée la complicité, une chanson d'amour pour soi même et pour l'autre... hélas nous avons préféré abandonner le diapason à la tonitruance de Thanatos qui nous précipite dans l'abîme... tout bas et encore plus bas, de plus en plus bas.

"L'enfant terrible tue sa mère. Et l'Afrique n'a d'autre alternative que de renaître en enfant terrible." disiez-vous dans un entretien avec Caya Makhélé. Vous considérez-vous vous-même comme un enfant terrible, "Un mauvais garnement" de la post-indépendance comme dit aussi Kossi Efoui ?
Oser écrire c'est prétendre à la maîtrise de la parole. C'est avoir 7 x 7 ans et donc user du droit de porter la barbe et de la prise de parole publique. Qui sommes nous ? Les mauvais garnements post-indépendance ! C'est vrai que nous sommes précoces et que nous avons dû usurper la parole alors que nous n'étions qu'à peine sorti de l'adolescence. Mais c'est la faute au siècle qui a trop tôt fait mûrir et pourrir nos rêves d'enfants en les frelatant avant qu'ils n'aient connus l'étape de la maturation. L'hérésie née, il faut l'assumer jusqu'au bout. Nous avons juste empoigné nos responsabilités pour résister, pour exister. Nos textes sont des fortifications pour nous protéger contre la mort. Si c'est en cela que nous sommes les enfants terribles tant mieux. Et si nous devons tuer cette Afrique du désastre qui nous a enfanté, qu'à cela ne tienne ! Qu'on ne demande pas à Efoui qui a connu prisons et planques à 18 ans de battre des mains au passage du "Général"; qu'on ne me demande pas, alors qu'à six ans j'ai vu des soldats raser les femmes au tesson de bouteille et brûler vif des hommes, de fermer l'oeil, l'oreille et la bouche quand on détruit un être humain d'où qu'il soit. Nous ne sommes que tributaires du vilain destin que l'on nous a préfabriqué... nous l'habitons en le détruisant.

Il y a toujours beaucoup de dérision dans votre écriture. Pourquoi cette mise à distance constante ?
Difficile d'expliquer ce qui nous caractérise au plus profond de nous, de donner les raisons objectives d'une façon d'être. Pour spéculer je redirais juste: "Il y a des douleurs qui ont honte de se pavaner sur la place publique seins nus en jupettes d'écorces battus" et que le sibyllin résolve la question ! Soyons un peu plus sérieux ! La mise à distance n'est ni manifeste de doute quant à l'issue positive de mon combat d'écrivain, ni volonté de révélation d'une incrédulité ou d'un pessimisme sous-jacent. Je pense qu'il y a deux raisons essentielles à cette espèce d'application de ce que Brecht appelle le verfremdungeffekt. Primo, il me semble que chaque oeuvre et au delà chaque personnage d'une oeuvre est comme un enfant à qui l'on donne la vie. Dès lors que l'on se fait chantre de la liberté, il faut aussi essayer de lâcher bride au personnage et à l'oeuvre, lui garantir un minimum d'existence intrinsèque. La dérision est peut être la lame du couteau qui coupe le cordon ombilical. Secundo, comment refuser la norme sans s'inscrire dans la dérision ? Ma parole se refuse à être conventionnelle. Elle est réaction contre les viols et les violences et, pour se hisser à la hauteur de l'effroyable tragédie, elle doit opposer la violence de l'humour, de la satire, du désordre, du laid, du vermoulu, de la truculence, du cynique. Elle doit briser les frontières entre l'ésotérique et l'exotérique, le réel et le virtuel, le vrai et le faux, l'homme et le fantôme, le visible et l'invisible, l'être et le néant, la vie et la mort pour espérer recoudre les morceaux du chaos.
A moins que la distance ne soit simplement une recette pour se blinder contre l'émotion que provoque chaque vie de personnage, la colère destructrice et la révolte que soulève le témoignage des bêtises dans lesquelles nous sommes engluées : résurgence d'une éducation au stoïcisme puisque l'on m'a seriné que le mâle, face à la douleur doit étouffer son gémissement et au besoin esquisser un sourire. C'est le meilleur défi contre l'adversité.



CHALAYE Sylvie, Dramaturgies africaines d'aujourd'hui en 10 parcours, coll. "Regards singuliers", Lansman, Carnières, 2001.
LAMKO Koulsy, "Les mots nos outils", in Notre Librairie, n°135, décembre 1998, Paris, pp.53-61.
Idem, "Rêveries d'un homme de théâtre africain", in Alternative Théâtrale, n° 48, juillet 1995, pp. 27-29.
RASCHI Natasa, "Koulsy Lamko : la folie du papillon ", in Afrique noire : écritures contemporaines, Théâtre/Public n° 158, pp. 65-68.

 
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Fiche réalisée par Sylvie Chalaye

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