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Fiche pièce
Malaventure (La)



L'AUTEUR
Efoui Kossi



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Malaventure (La)
Efoui Kossi

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Sylvie Chalaye, extraite pour partie de Dramaturgies africaines d'aujourd'hui en 10 parcours, coll. "Regards singuliers", Lansman, Carnières, 2001.


  Togo
1993
Editions Lansman, Carnières, 1993
 
Genre
Comédie dramatique

Nombre de personnages
1 femme
3 hommes


Longueur
10 tableaux
38 pages


Temps et lieux
un carrefour

Thèmes
quête identitaire

Mots-clés
amour , guerre , mémoire , oubli , rendez-vous , retour , voyage
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

Difficile de repérer le parcours diégétique des personnages. La pièce pose une énigme, l'énigme de la vie et de la mort. Elle se structure autour d'une attente, d'un rendez-vous à la croisée des chemins. L'homme et la femme, les deux personnages mis en présence par le montreur de pantins, viennent évoquer un troisième personnage parti pendant la guerre et susceptible de rentrer à présent que la guerre est finie. Lui attend un ami, elle attend un amant qui l'enlèvera. L'homme revient. Mais est-ce celui qu'elle attendait ? Elle n'attendait pas un retour, mais un départ. Les retrouvailles se font séparation. Quant à celui qui se prétendait son ami, n'est-il pas finalement la mort ? Cependant rien de sûr ne permait d'élaborer le parcours des personnages, ni de les identifier. C'est une pièce sur le doute, l'incertitude on ne sait jamais qui est qui, les dates ne sont jamais certaines, les identités glissent. La pièce raconte ce glissement, glissement inexorable, glissement de la mémoire, glissement des sentiments, glissement vers le tombeau.

 
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Parcours dramaturgiques

Mise en scène, mise en jeu

"Un jeu que tu ne connais pas. C'était entre lui et moi. Des rôles entre nous avant même de s'imaginer que tu pourrais arriver là, attirée par le hasard". (p.26)

La dramaturgie de la pièce repose d'abord sur un procédé de mise en abyme qu'entretient le personnage du montreur de pantin en faisant des autres personnages des espèces de marionnettes qu'il manipule et qui lui confère un statut démiurgique, comme s'il prolongeait le bras du dramaturge. Le montreur de pantins est une espèce de souffleur, une voix qui structure la dramaturgie et se substitue parfois aux personnages comme s'il leur soufflait leurs dialogues. Ce personnage matérialise le mensonge du théâtre, et sert à désincarner les personnages, à empêcher toute construction psychologique des voix qui s'expriment.


Les pantins :

Elle : elle est toute entière définie par sa féminité. Elle est Pénélope qui n'a d'autre existence que l'attente. Elle est un personnage "amputée", qui n'a pas de nom. "Tu n'as pas de nom. C'est ça qui t'appauvrit" lui dit Edgar Fall. Elle apparaît comme une sorcière, une "diseuse de malaventure" avec son miroir le long des routes ; elle semble aussi être une prostituée qui va "de coin de rue anonyme en coin de rue anonyme vendre [ses] restes de chair, échangeant [sa] moitié de corps contre une moitié de billet gris" (p.17). Sorcière et prostituée, elle est tout ce que la femme cristallise de fascination et de mépris. Elle pourrait aussi être Rachel celle qui a eu la jambe coupée et dont on parle à la troisième personne. Elle attend Darling V. Elle espère qu'il l'enlèvera comme un prince charmant qui enlève sa dulcinée. Elle joue les Eurydice qui attend Orphée. Car elle est aussi cette identité vers laquelle Darling V. ne peut que revenir. Elle peut représenter cette part identitaire perdue de l'Afrique qui reste hantée dans Darling V : "Je t'ai portée coincée dans la peau comme une écharde. Je suis revenu pour guérir enfin de toi." (p.17) Elle est l'amante pour qui on part et pour qui on revient. Elle est le leurre que la nature fabrique pour que l'humanité continue son chemin. C'est elle qui invente des avenirs, des perspectives de miroirs aux allouettes : "Moi, je ne suis qu'une femme née là. Un miroir dans la main pour lire l'avenir, pour séduire, pour flatter, dire santé, bonheur demain, que la terre te soir légère pour l'éternité. Trois francs la consultation. Dix francs quand ça va plus loin, quand les mots ne suffisent plus et qu'il faut toucher pour dire santé, bonheur et que la terre te soit légère..." (p. 23)


Darling V. Il porte un nom inachevé, en suspend, un nom réceptacle, à remplir : "J'ai oublié quelque chose. Je suis vidé de quelque chose" (p.32). Il est tout entier le désir de Elle. Il est son rêve de voyage. Il est la baudruche qu'elle gonffle de ses attentes. C'est "le vagabond des carrefour", le voyageur, l'amnésique, celui qui revient de l'au-delà. Il est le poète, celui qui a fait le choix de partir : "Je savais qu'un jour tu t'en irais. Que tu ne t'habituerais jamais à vivre dans l'impasse. Tu n'es pas né sous le signe du caméléon comme la plupart ici. Tu n'as jamais appris à te confondre avec le décor. Ta peau encaisse mal. Tu es né pour tisser ta toile et pour demeurer nu. Signe de l'araignée. Tu es né à la nudité." (p.15)

Edgar Fall est le seul personnage qui porte un nom, une vrai identité. Celle de la chute, du plongeon au tombeau. Il est le seul a accepter l'ordre des choses et à s'y ranger. Il est le prolongement de la coercition ambiante, l'un des "ils" qui cernent et observent le carrefour. Cette présence autoritaire obsédante. Il est un émissaire de l'ordre. Il joue les inquisiteurs dès le début de la pièce et insuffle le doute. Il suspecte le trop de vie de Elle. Il est peut-être la mort avec laquelle Darling V. a rendez-vous et qu'il devra bien finir par reconnaître : "Un jour, je t'ai vu. Quelque chose m'a dit qu'un jour je te reconnaîtrais pour de bon." A la fin, Edgar Fall joue même les Méphistophélès : "Nous disons que vous avez besoin de repos après divagation sur la voie publique. Vous signez ?"
C'est pourquoi Edgar Fall est aussi celui qui dénonce l'impuissance de Darling V., et la vanité même du voyage ou du rêve face à l'inéxorable chemin vers la mort.
Edgar Fall.-... Ils ne te croient plus quand tu dis que c'est un amuseur.
Elle.- Un poète.
Edgar Fall.- Usage de faux.
Elle.- Un voyageur.
Edgar Fall.- Nuisance.
Elle.- C'est ce qu'ils disent ?
Edgar Fall.- Regarde-moi. Ce type ne les amuse plus. Il ne les inquiète pas non plus. Il les ennuie un peu, tu vois ? Comme un moustique, ça gêne. Avec toujours le même répertoire de zozo vagabond, de clown misanthrope.

 
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Pistes de lecture

Le carrefour

"Un carrefour, lieu de rencontre ou de rendez-vous. Lieu circulaire ouvert sur des pistes. Là, cour intérieure d'une ville fermée. " (p. 13)

Kossi Efoui le définit lui-même comme l'espace du sacrifice. ""Le carrefour" est l'espace symbolique de la vie et dans la culture éwé, le lieu symbolique du sacrifice, du choix ; c'est aussi le lieu de la confrontation. Il y a d'ailleurs une expression dans ma langue qui dit : "On va se retrouver au carrefour" C'est donc un lieu antagonique."
Mais rester au carrefour, c'est se soumettre au regard de ceux qui incarnent le pouvoir et dont l'autorité cerne les lieux. Ceux que l'on ne désigne que par "ils", et sur lesquels les personnages restent toujours très laconiques répétant seulement : "Ils sont puissants, ici." Partir c'est fausser compagnie aux regards de la coercition, c'est échapper à l'ordre, c'est refuser la prison et la mort : "Un chemin hors de ce carrefour. J'avais compris qu'on ne pouvait longtemps rester assis ou debout, couché ou mort... sans s'ankyloser. Ou alors, on bouge tellement qu'on se fait remarquer. Et ça on n'aime pas ici. Dans cette fosse commune, tout le monde doit rester tranquille. Mort." (p.16)


La nécessité du voyage et le retour.

"On raconte qu'un homme, dans sa prison, est allé de Bulawayo à San Francisco, qu'il a pris la mer et vu du pays. On raconte ça dans cette même prison. On dit qu'il avait des cartes de géographie plein la tête. Il faisait ses bagages tous les matins et, le soir, il racontait sa vie d'explorateur. On l'a emmené vers l'asile hier au réveil." (p.7)

Tout homme a le choix du départ, le choix de se "tracer un chemin hors de ce carrefour" (p.16) Ceux qui restent préfèrent le passé rassurant, ceux qui partent ne peuvent s'en contenter et cherchent autre chose. Le voyage de Darling V. Est le voyage nécessaire de toute une jeunesse africaine qui a besoin de boire à d'autres sources, qui ne peut regarder l'Afrique éternelle comme seule source d'inspiration qui n'a pas peur de se brûler les ailes. Une jeunesse qui a besoin de croire en un avenir possible, même si là-bas ressemble à ici.
"Elle.- Est-ce vrai qu'il fait soleil là d'où tu viens ? Soleil levant tout le matin ? Soleil couchant tout le soir ? Est-ce vrai qu'il fait fleur toutes les saisons, là-bas d'où tu arrives ?... Tu m'enlèveras ?
Darling V.- Il fait mort et peur aussi. Qui t'a dit qu'il y fait fleur ?"

Mais le voyage du poète n'est pas un départ sans retour, il n'est pas une fin en soi, il n'est qu'un moyen de remise en cause et de questionnment :
Darling V.- Là-bas, mes sommeils étaient disparates. Et je m'effritais... je vois une femme s'avancer vers moi. Je lui tends la main. Elle me traverse et s'en va. J'étais un fantôme. Je faisais même peur. Là-bas, je suis autrui.
Elle.- Et ici ?
Darling V.- Un matin, là-bas, j'ai senti la moisissure pousser dans mes mains que personne ne serrait plus depuis longtemps. Et dans mon coeur, l'herbe poussait drue, opaque. Ça commençait à m'aveugler...
Elle.- Et peu à peu, ça a commenceé à te faire des pensées, méchamment.
Darling V.- Alors je suis revenu. Parce que là-bas, je serais demeuré l'étranger.

Egaré ici, étranger là-bas, le poète ne peut trouver sa place. Il est l'homme de l'entre-deux. Un éternel exilé qui a besoin des barricades pour avancer et exercer les ruses de son sac à malices.

Partir pour inventer l'avenir

"Comme toutes ces histoires qu'on invente et qui font marcher." (p. 11)


Le poète est un voyageur, il est celui qui arrache au tombeau, celui qui entrevoit une issue, même s'il revient après le voyage. Il s'est offert une escapade loin du carrefour, loin de la mort. C'est précisément ce que convoitent en lui ceux qui n'ont pas le courage de tenter le voyage. Seul le voyage est promesse d'avenir. C'est pourquoi, Elle comprend avec le retour de darling V. que son destin est aussi le voyage et elle disparaît à la fin de la pièce : "J'aurais pu partir, tourner en rond de déviation en déviation, et revenir comme lui. Je l'ai compris. Je l'ai comprise... mais longtemps après cette chose qui porte les racines. Cette chose qui couve la terre. Cette chose qui transforme en fils et filles. Si demain je ne me fraie pas un chemin, mes enfants naîtront aussi à ce carrefour... Il me faut me frayer un nouveau chemin avant l'aube. Je veux porter mes racines plus loin qu'ici." (p.18)

 
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De plain-pied dans le texte

LE MONTREUR DE PANTINS. On raconte qu'un homme s'est tenu débout sur son orteil. Le gros. On raconte que l'homme se tient encore debout sur son orteil sans compter ni jours, ni heures, sans compter saisons. Sans compter qu'il s'est battu pour les saisons. Sans compter qu'il vieillit.

Huit mai.... Huit ou sept ?... Sept mai.

On raconte des lignes et des cercles qui divisent la terre de pôle en pôle. On a marché sur l'équateur depuiis des siècles sans se l'imaginer. Un jour, on voit l'image. Et lorsqu'il arrive, de voyage en voyage, qu'on croise l'équateur, on ne marche plus pareil. C'est soudain une ville qui attend là.

Huit mai.... Huit ou sept ?... Sept mai.

On raconte qu'un homme, dans sa prison, est allé de Bulawayo à San Francisco, qu'il a pris la mer et vu du pays. On raconte ça dans cette prison. On dit qu'il avait des cartes géographiques plein la tête. Il faisait ses bagages tous les matins et, le soir, il racontait sa vie d'explorateur. On l'a emmené vers l'asile hier au réveil."

EDGAR FALL. On parle là de quelqu'un qui va revenir ou pas ?
ELLE. On parle de rien du tout. On n'a pas rendez-vous.
EDGAR FALL. "Nous n'avons pas rendez-vous..." Tu ne sais dire que ça depuis que je te parle.
ELLE. Quel est ton nom depuis que tu me parles ?
EDGAR FALL. Nous parlons là de quelqu'un que tu protèges ou pas ? Que tu aimes ou pas ? Qui va revenir ou pas ?
ELLE. Nous parlons là de quelqu'un qui a perdu la mémoire.

(Kossi Efoui, La Malaventure, Lansman, Carnières, 1993, p. 7)

 
 
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Pour poursuivre le voyage


- CHALAYE Sylvie, "Le "marronnage" de l'écrivain", entretien avec Kossi Efoui, in Afrique noire et dramaturgies contemporaines : le syndrome Frankenstein,, éditions théâtrales, Paris, 2004.
- VIBERT Marie-Noëlle, "Enfermement et liberté ou l'écriture de la distance", entretien avec Kossi Efoui, in Notre librairie, n° 131, septembre 1997.
- CHENUAUD Bernard, Entretien avec Kossi Efoui, "La crise de culture et autres réflexions, in Théâtre-Sud, n° 2, L'Harmattan / RFI, Paris, 1990, p. 66.

 
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Fiche réalisée par Sylvie Chalaye, extraite pour partie de Dramaturgies africaines d'aujourd'hui en 10 parcours, coll. "Regards singuliers", Lansman, Carnières, 2001.

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