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Fiche pièce
Légende du Wagadu vue par Sia Yatabéré (La)



L'AUTEUR
Diagana Moussa



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Légende du Wagadu vue par Sia Yatabéré (La)
Diagana Moussa

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par DANY TOUBIANA


  Mauritanie
1994
Editions Lansman
 
Genre
Tragédie

Nombre de personnages
2 femmes
12 hommes
3 personnages représentent le choeur

Longueur
3 actes


Temps et lieux
Afrique, temps des légendes

Thèmes
Tradition et abus de pouvoir

Mots-clés
folie , légende , Pouvoir , tradition , Wagadu
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

Comme dans de nombreuses légendes, un monstre, le Wagadu Bidà accepte le voisinage des hommes à condition que ceux-ci lui sacrifient chaque année la plus belle de leurs vierges. Vient un preux chevalier qui tue le monstre, délivre le peuple et épouse la belle.
Cette légende du Ghana racontée par Moussa Diagana et vue par les yeux de son héroïne, Sia Yatabéré, prend ici une toute autre coloration. Elle dit l'oppression du peuple, la misère, la tyrannie des puissants et le poids de la religion. Sous la légende percent les réalités contemporaines et l'espoir de trouver des plaines plus vertes au bout de l'errance…

 
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Parcours dramaturgiques

Avec le personnage de Sia Yatabéré, nous voilà en face d'une femme au tout début de sa vie de femme: elle est vierge, fiancée à un homme distingué par ses exploits guerriers. Désignée comme la plus jolie fille de la ville de Koumbi, elle devient, en tant que telle, la jeune vierge choisie par le clan des prêtres pour être dévorée par le Wagadu Bidà, prix à payer, chaque année, au Dieu-Serpent, le monstre à sept têtes, en échange de la prospérité et de sa protection.

Le sacrifice est en fait le viol de la jeune vierge par les prêtres de la Forêt Sacrée. Sia, prévenue indirectement par Kerfa le Fou, réussit à revenir et reprend à son compte la parole de Kerfa assassiné. Elle dénonce, à son tour les turpitudes du nouveau pouvoir qui vient de se mettre en place.
En ajoutant dans son titre "La légende du Wagadu…vue par Sia Yatébéré", Moussa Diagana "grippe" l'ordonnancement d'une légende africaine traditionnelle, pour la transformer en une tragédie allégorique aux accents des plus contemporains.
En permettant à Sia de donner son point de vue sur une légende qui, habituellement, ne tourne qu'autour du héros délivrant la fragile jeune fille, l'auteur donne à son héroïne un statut non plus d'objet mais de sujet dont la parole va peser dans le déroulement de l'action. Sous l'impulsion de Kerfa le Fou, son seul ami, en une nuit, elle devient celle qui accepte le sacrifice non pas comme un mouton que l'on mènerait à l'abattoir mais comme une femme qui consent librement à sa mort et qui la revendique. Par sa bouche, toutes les femmes écrasées s'expriment. La proximité du sacrifice lui confère une liberté toute neuve et annule la distance qui la sépare de tout pouvoir familial,politique ou religieux.
Elle ressemble à une Iphigénie que son martyr aurait transformé en Antigone. En refusant ses ascendants et toute attache antérieure, Sia devient la figure d'une nouvelle origine. En assumant l'humiliation du viol, ce moment entre la vie et la mort, elle découvre un nouveau chemin vers non plus une intégration sociale mais une intégration à sa propre vie. Elle devient la mémoire de Koumbi, un témoin de ses malversations et de ses peurs.
En décidant de n'être plus rien, ni femme, ni fiancée, ni mère, ni même martyr, Sia n'est plus que parole ; une parole errante au-delà du dialogue, de la conversation ou même de la prophétie. Elle se libère, peu à peu, des contraintes de son appartenance au clan Yatabéré, de sa féminité et même de son corps. Contrairement à Iphigénie qui accepte son sacrifice pour que l'ordre puisse à nouveau régner, Sia s'approprie une parole trop longtemps confisquée par les pouvoirs politiques et religieux des hommes et devient une parole-ferment qui attend son heure en se mettant au service d'une vérité sans détours.
Dans la scène finale, Sia apparaît totalement nue. C'est l'acte suprême de protestation des femmes dans la tradition africaine, quand plus rien ne peut être dit et que la situation ne trouve de dénouement que dans le silence d'où naîtra peut-être la parole et la vérité du monde.

 
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Pistes de lecture

Kerfa le Fou ou la folie comme initiation


Avant de parler du fou en tant que personnage de théâtre, il nous faut préciser son statut dans d'autres sociétés et notamment dans l'ensemble de l'Afrique. Même si on s'en méfie, loin d'être enfermés dans des hôpitaux psychiatriques, en Afrique Noire ou en Afrique du Nord, ceux qui présentent des troubles psychiques font partie du paysage social. On leur attribue des pouvoirs occultes, on leur accorde la possibilité de dialoguer avec les mondes invisibles et on les dit dotés d'un don de clairvoyance.
Kerfa en tant que fou se fait chasser régulièrement à coups de pierres par les enfants de Koumbi. Il est donc obligé de vivre aux abords de la ville pour échapper tout simplement aux coups, mais on comprend très vite qu'il utilise cette situation. Même si personne ne l'écoute en apparence, la nuit, la ville lui appartient : c'est le moment où il l'arpente et harangue les gens de Koumbi, leur expliquant les subversions du pouvoir en place. Kerfa est donc considéré comme un insensé, aux propos désordonnés, mais qui provoque la crainte. Par ailleurs, ses discours nocturnes en font la conscience de Koumbi et dès le début de la pièce, il est dans la situation de celui par qui le scandale arrivera et comme le fou du théâtre shakespearien, son discours oscille de l'insolence à la lucidité. Il est celui qui ose s'opposer au pouvoir des rois et des dieux pour clamer la vérité sans peur de perdre la vie puisqu'il a renoncé à tout.
Dès le départ, Kerfa le Fou s'établit dans une fonction paradoxale. Il est manifestement dérangé, mais en même temps ses propos dérangent la bonne conscience endormie de la ville. Les paroles dictées par sa folie ne transfigurent pas la vérité, mais pointent les apparences trompeuses de la réalité. Elles invitent à la révolte, à la lucidité et, de ce fait, Kerfa devient à la fois le porte-parole de l'auteur mais aussi la métaphore d'une Afrique qui doit secouer ses chaînes pour reconquérir une véritable liberté. Contrairement à la tradition, Kerfa n'est pas le fou d'un roi mais celui d'une ville entière qu'il instruit des malversations qui s'y trament. Cette parole délivrée non pour instruire un roi mais le peuple inverse tout à coup la fonction et fait de Kerfa le roi des gueux - qui, habituellement peut-être aussi un fou - mais un roi qui ne souhaite rien pour lui-même, et dont la seule fonction consisterait à éveiller les autres et à éclairer le chemin. Le bâton qu'il brandit tient davantage du bâton de prophète que de la marotte des fous. L'aliénation de Kerfa a donc une fonction subversive d'éveil qui fait de sa folie un outil de libération des consciences.
Kerfa puis Sia, en s'acceptant et en revendiquant haut et fort le fait d'être fous, deviennent les instruments d'une puissance supérieure à tout pouvoir politique. Aliénés par "décret national", théoriquement en dehors de tout statut social et privés de parole officielle, ils continuent à démonter les rouages et à dénoncer les malversations de cet ordre apparent, devenant l'incarnation même de la subversion. Même si le seul gagnant de l'histoire semble être à nouveau le pouvoir par la mise en place d'un ordre nouveau, le fou, continue - comme le poète- de semer cette parole "aliénée" qui dénonce sans relâche. Kerfa puis Sia, fous suprêmement libres, deviennent les symboles d'une Afrique en quête de ses rêves. Toucher le fond de l' aliénation conduit à se libérer totalement des faux semblants. Ceux qui s'expriment en marge des pouvoirs en place- comme les fous ou les poètes - dans la folie contemporaine, sont les germes subversifs nécessaires à une désaliénation future d'une Afrique aveugle, sourde et muette… pour l'instant.

 
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De plain-pied dans le texte

(…)
Mamadi : Mais pourquoi, pourquoi cette mascarade ?

Sia : Kerfa le fou le savait peut-être… Mais pourquoi m'a-t-il laissée descendre jusqu'au fond de cet enfer, s'il savait. Je me souviens de ses paroles : "La toison frémissante sous la main de l'homme… la lame tranchante qui pénètre, son va-et-vient brutal… les reins qui se cambrent, l'œil qui se révulse, le râle final… et puis mourir, qu'importe si c'est de virginité". Je me souviens du cri rauque et prolongé que Kerfa avait poussé avant de tomber à mes pieds en pleurant. Ce râle que j'ai entendu sept fois, tu entends Mamadi, sept fois avant l'aube, contre son sein.

Mamadi : Sia ! De quoi parles-tu ?

Sia : Toi non plus, tu n'as pas compris les paroles de Kerfa le fou, son cri… Sept fois j'ai été prise, Mamadi, sept fois violée, et au bout de chaque râle, mon sang de vierge…

Mamadi (tremblant) : Qui a fait cela ?

Sia : Ah ! Tu trembles à présent, Mamadi. Comme tout cela semble plus terrible que tous les Dieu-Serpent de la terre, n'est-ce pas ? Qui a fait cela… sinon les sept prêtres de la Forêt Sacrée qui prétendent ne pas être de ce monde ? Vous semez, eux récoltent après avoir choisi la meilleure graine. Et combien de vierges, heureuses ou tristes de mourir pour le Wagadu, mes frères, ont été humiliées ici jusqu'au tréfonds de leur corps et de leur âme, combien ont fui par ce chemin et sont mortes dans les innombrables pièges de cette forêt dont nul ne ressort ? Combien se sont jetées tout simplement la tête la première dans ce puits, pour cacher leur honte ? Mais moi, Sia Yatabéré, j'ai dit non à la mort. Je me suis abreuvée de mon sang de vierge, je m'en suis empli le ventre et le cœur, et j'ai vomi, craché au-delà des nuages jusqu'au ciel pour qu'il retombe en pluies de sang sur vos vertes plaines du Bambuk. Sept fois, pour sept ans j'ai maudit l'eau et l'or du Wagadu jusqu'au septième jour du septième mois. (Elle se lève et sort lentement pendant que l'obscurité se fait totale) Soyez maudits, ton oncle et toi, Mamadi. Et que le sang versé de l'innocence vous retombe sur la tête ! Chantez et dansez donc ! Mais sachez que je suis seule gardienne de la parole de Kerfa. Sachez que les plus fous n'ont pas d'histoire. Les femmes non plus. Alors je serai le témoin de la vôtre.
(Extrait de la scène 2, Acte III )

 
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  Du texte à la scène…

La pièce a obtenu le premier prix du Concours Théâtral Interafricain 1988 de Radio France Internationale. Publié une première fois en 1990 , dans la revue « Théâtre Sud » coéditée par les Éditions L’Harmattan, le texte est présenté une première fois avec les très jeunes comédiens de la Compagnie de l’Espoir, une troupe Franco-Mauritanienne, sous la direction de Patrick Le Mauff. Le texte, réédité en 1994 par les Éditions Lansman, a été créé en même temps dans le cadre du XI° Festival des Francophonies en Limousin du 24 au 27 septembre, puis au Théâtre de Vienne du 7 au 23 octobre, également dans une mise en scène de Patrick Le Mauff. Tournées : Caen, Marseille, Chambéry.

 
 
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Fiche réalisée par DANY TOUBIANA

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